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L'histoire des refuges de la STD
 


Histoire de la construction du premier refuge "Adèle Planchard"

1 926-1 927


Première partie


Nous avons voulu conter ici une histoire sans grand intérêt en vérité : celle de la construction d'un refuge de haute montagne dans les années 1920.

Et pourtant il nous a paru utile et instructif de relater, au jour le jour, les efforts d'une poignée de nos prédécesseurs dont l'obstination, la hargne et le courage eurent raison des mille et un obstacles qui s'opposaient à leur bonne volonté, à leur "bénévolat" très exactement.

C'est dans la sécheresse des comptes rendus des séances du Conseil d'Administration de la S.T.D. de l'époque, agrémentés de quelques commentaires, que le lecteur pourra retrouver le détail des luttes quotidiennes contre les sociétés rivales, la quête acharnée et ô combien actuelle des subventions, le dévouement inlassable de quelques uns pour le bien du plus grand nombre : il n'v a rien de nouveau sous le soleil

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Les extraits des séances du Conseil d'Administration de la S.T.D. seront en caractères gras, les commentaires, en caractères ordinaires.

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12 Février 1925 : Mme Adèle Planchard, décédée, laisse à la S.T.D. un leg de 2500 Frs pour travaux en haute montagne. De chaleureux remerciements sont votés à sa mémoire.

On possède en vérité fort peu de renseignements sur Mme Planchard : des recherches récentes effectuées par nous en Belgique ont permis de découvrir sa tombe totalement abandonnée dans la banlieue de Liège : pas de nom, pas de dates, aucune inscription, un amas seulement de pierres calcaires de la vallée de la Meuse en forme de montagne !!!!.... La S.T.D., par l'intermédiaire d'un ami belge, vient de prolonger de 50 ans la durée de la concession; aucun membre de la famille ne s'en étant occupée, notre bienfaitrice risquait la fosse commune.....

Ce qui est certain, c'est que c'était une personne férocement opposée à toute centralisation; liégeoise donc opposée à la suprématie de Bruxelles, elle fut attirée par le côté provincial et antiparisien de la S.T.D. , vertu ou vice bien dauphinois !!

ler Mai 1925 : Exposition : Mr. Bouchayer donne au bureau des détails sur l'état d'avancement des travaux du refuge Planchard.

C'est Grenoble, le temps de la très célèbre Exposition dite de la Houille Blanche dont la seule relique est la Tour de.... l'Exposition, toute proche de la nouvelle mairie dans le parc Paul Mistral. La S.T.D. y exposait, prés de son stand, le futur refuge Planchard et à quelques mètres, le C.A.F. exposait le futur premier refuge Temple Ecrins !.... Facheuse coincidence !

Le refuge de la S.T.D. avait été construit par les soins des établissements Bouchayer et Viallet, bien connus à Grenoble, sur les plans de l'architecte Serbonnet qui avait déja conçu les refuges Caron et de la Pilatte.

 

Les deux refuges présentés par les deux sociétés alpines à l'Exposition devaient être construits sur le même emplacement !!! Au dela d'une erreur toponymique invoquée par les Eaux et Forêts ( Il y aurait eu confusion entre Vallon de la Pilatte et refuge de le Pilatte), il semble bien que la mauvaise foi du C.A.F., emmené par le très célèbre Mr. Lory pour la section de l'Isère, fut totale; mais trop de feu couvait sous la cendre depuis trop longtemps entre les deux sociétés pour que le premier prétexte à en découdre ne fut pas le bon.

16 Octobre 1925 : Mr. Chabrand fait l'exposé de la question du refuge de la Temple et de l'état actuel du conflit avec le C.A.F. Il est décidé que la S.T.D. maintiendra ses droits, mais renoncera officieusement à l'emplacement primitivement choisi, sous réserve d'une large compensation de la part des Eaux et Forêts.

Prudente marche arrière des Dauphinois, reculade qui n'était pas la première puisque peu de temps auparavant elle avait du abandonner au C.A.F. un sien projet datant de 1 91 2 : la construction du refuge de la Pilatte cette fois-ci. Mais un orage se levait du côté de ce qui leur tenait, alors, le plus à coeur : leur plus belle réalisation était directement menacée : la direction des guides et des porteurs du Dauphiné que lorgnait depuis longtemps l'insatiable C.A.F. Les plaintes se multipliaient, les guides jouant des dissensions entre les deux sociétés pour augmenter à loisir les tarifs qui leurs avaient été imposés.

Le Bureau décide de mettre le C.A.F. au courant des diverses réclamations reçues au sujet du tarif des guides.

C'est le point de départ de la lutte fratricide qui va opposer les deux sociétés au sujet des guides.

La S.T.D. en sortira vaincue, aprés bien des péripéties, abandonnée par les siens ! La décentralisation est encore loin et le jacobinisme centralisateur parisien va triompher facilement des timidités dauphinoises.

 

 

 

19 Janvier 1926 : Une lettre de Mr. Bourgeois annonce un nouvel envoi de Frs. 2158,55 , conformément aux dernières volontés de Mme Adèle Planchard.

 

 

Mr. Edouard Bourgeois, professeur de chimie à la Faculté de Liège, était l'ami de Mme Planchard et son exécuteur testamentaire. Les liegeois plus pudiquement parlaient de il cousinage". Grand ami de la S.T.D. des années 20 , il sera, dix ans plus tard, à l'origine de la construction du deuxième refuge de la Selle, refuge qui porte son nom : c'est l'actuel refuge d'hiver. Il décède en 1936 et repose discrètement auprès de son amie, Mme Planchard.

 

 

 

26 Janvier 1926 : Mr. Clément communique qu'îl a écrit à Mr. le Conservateur des Eaux et Forêts une réponse faisant toutes réserves utiles au sujet de l'emplacement du refuge dans le Parc National. Mr. le Conservateur a laissé espérer qu'une subvention pourrait être accordée par l'Administration. Le Conseil notifie l'engagement pris par Mr. Clément au cours de ces divers pourparlers, que les agents de l'Administration auraient dans le refuge les mêmes droits que les membres de la S.T.D.

 

Dans un Premier temps, les Eaux et Forêts ne voulaient subventionner que les refuges construits dans le Parc National du Haut Vénéon qui venait d'être créé et dont les limites étaient bien Plus étroites que celles du Parc actuel. D'où l'importance de l'emplacement à choisir......

23 Février 1926 : Mr- le Président donne lecture d'une lettre de MF-. Gaspard. maire de St Christophe, émettant l'avis que la vallée de la Lavey pourrait être choisie comme emplacement. Mr. Baumler procedera au démontage du refuge. (celui de l'Exposition qui sera remonté ensuite sous Roche Méane)

Aucune suite ne sera donnée à cette proposition: le C.A.F. occupait déja les lieux!

1 6 Mars 1926 : Après un échange de vue sur l'emplacement qu'il conviendrait de donner à ce refuge, le Conseil fixe son choix sur le vallon du Chardon. Une collective à skis dans ce vallon et vers le sommet des Rouies est décidée pour Pàques.

Curieuse idée d'implanter un refuge si proche de celui des prairies du Carrelet . Il faut noter que l'ancien refuge du Carrelet était perché au bord du sentier qui mène au col de la Temple. Il ne restait que quelques débris de bergerie dans le fond du vallon lui-méme.

20 Avril 1926 : Mr. Clément, Président, informe le Conseil qu'une collective a eu lieu pour Pàques (4-5 Avril) en vue de reconnaître le futur emplacement du refuge Planchard. La caravane s'est scindée en deux groupes : le premier groupe a fait l'ascension des Rouies, qui s'est effectuée dans d'excellentes conditions de temps et de neige. Le deuxième groupe n'est allé qu'au pied du glacier du Chardon et a recherché l'emplacement convenable du refuge. Malgré une couche de neige assez abondante et après des recherches assez laborieuses, une selle rocheuse située approximativement au pied du rocher de Clochatel pourrait réunir les conditions; mais une deuxième reconnaissance s'impose et le Conseil décide qu'en Mai une deuxième excursion sera organisée en vue de revoir l'emplacement qui n'a pu être examiné assez minutieusement lors de la visite de Pàques.

Jean-Baptiste et Maximin Rodier accompagneront la délégation. Le Conseil prend acte de ce que les guides de la vallée du Vénéon sont disposés à donner à la S.T.D. une journée de travail à titre de contribution volontaire pour monter le refuge

Le prix du transport envisagé monterait à 1 franc le kilo.

 

La tradition voulait que les guides de la région interressée par l'implantation d'un nouveau refuge se transformassent en porteurs rémunérés pour transporter les matériaux à pied d'oeuvre. Cela n'allait pas sans problèmes en particulier pendant la saison d'été comme on pourra le voir par la suite.

4 Mai 1926 : En attendant la 20 reconnaissance au glacier du Chardon qui doit avoir lieu prochainement le Conseil reste sur l'expectative. On pourrait envisager d'emplacer le refuge soit à la Lavey, soit au col de la Casse Déserte où il desservirait un massif important et privé jusqu'à présent de refuge.

 

Première mention de l'emplacement définitif ! Son nom même rappelle qu'il servit de base à la première de Tour Carrée de Roche Méane effectuée en juillet 1897 par Eugène Gravelotte du C.A.F. entouré des trois frères Gaspard, Pierre, Maximin et Devouassoud.

ler Juin 1926 : Mrs Leyat et Dodero ont fait une reconnaissance pour Pentecôte à la Grande Ruine. Un emplacement conviendrait au lieu dit M sous Roche Méane, à 3200 rn d'altitude. Mrs Clément, Leyat, et Dodero sont chargés de faire auprès de Mr le conservateur des Eaux et Forêt une demande en vue de conserver la subvention bien que l’emplacement nouveau ne soit pas dans le périmètre du Parc National.

Apparition des deux "locomotives" du projet.Mr Dodero qui paiera de sa personne pour le transport et le montage du refuge sera un des grands présidents de la S.T.D. d'après guerre.

Reconnaissance au Chardon : La date du 11 Juillet est arrêtée en principe pour la reconnaissance projetée. Il est décidé que le refuge à construire portera le nom de 'Refuge Henri Ferrand'. Il est donc désormais question de deux refuges !

Mr. Henri Ferrand grande figure alpine liée au C.A.F., au C.A.I. et surtout à la S.T.D., polygraphe exceptionnel et très contesté, plusieurs fois président de cette dernière Société,, venait en effet de mourir. Un magnifique tableau le représentant en tenue alpine trône dans la salle des réunions de notre siège.

 

15 Juin 1926 : Mr-. le Conservateur des Eaux et Forêts a été mis au courant du projet de la S.T.D. d'emplacer un refuge au lieu-dit "Campement Gravelotte' sous Roche Méane et en dehors du périmètre du Parc National- Cette proposition sera transmise au Ministère, Mr. le Conservateur ne pouvant prendre sur lui de conserver la subvention de 20 00OFrs précédemment votée.

La demande de concession à la commune de Villar d'Arène sera faite incessament.

 

L'accord semble s'être fait pour le lieu d'installation définitif du refuge et ce sans doute sous la pression du groupe des jeunes de l'époque : Dodero, Leyat etc... Il ne restait plus qu'à conserver la subvention déja obtenue des Eaux et Forêts car le refuge se situerait hors des limites du parc de l'époque : les limites qui bordaient au nord ce que l'on appelait également alors parc du Pelvoux , passaient par les crêtes flanquant au nord le bassin de Bonne Pierre et excluaient curieusement le vallon des Etançons et même la Bérarde pour remonter, plein est, le long du Vénéon.

6 Juillet 1926 : Mr. le Président donne lecture de la copie de la lettre du Ministère de l'Agriculture relativement à l'emplacement du refuge qui est ainsi conçue :

Paris, le 26 Juin 1926 : Le Directeur des Eaux et Forêts à Mr. le Conservateur des Eaux et Forêts à Grenoble. Comme suite à votre rapport du 19 Juin relatif à l'objet ci-contre (utilisation de la subvention N'4934 sur le produit des jeux : nouvel emplacement pour le refuge de la Société des Touristes du Dauphiné) et conformément à vos propositions, j'autorise la modification proposée Par ladite Société Pour l'établissement du refuge en vue duquel une subvention de 2000OFrs lui a été allouée sur le Produit des jeux. Ladite Société devra s'engager préalablement par une délibération de son Comité Directeur, dont copie sera déposée dans vos archives et dans celles de l'Administration, à réserver dans le refuge, à titre de Priorité quatre places destinées aux officiers et préposés des Eaux et Forêts. Signé........

 

Le Conseil prend acte de la décision de Mr. le Directeur Général des Eaux et Forêts et décide à l'unanimité des voix que seront toujours réservées dans le refuge, à titre de priorité, quatre places destinées aux officiers et préposés des Eaux et Forêts.

Le Conseil décide qu'une reconnaissance au futur emplacement du refuge sera effectuée le 8 Aout prochain.

Reconnaissance au Chardon : La date du 25 Juillet est arrêtée pour la reconnaissance projetée au glacier du Chardon.

On remarquera que c'est la deuxième fois que cette reconnaissance est repoussée : il ne sera plus jamais question du refuge Henri Ferrand. La proximité du refuge du Carrelet enlevait d'ailleurs toute justification à sa construction.

Les manoeuvres d'approches touchaient à leur fin, restait maintenant la construction, autre épopée ! Mais ceci est une autre histoire.


Deuxième partie

Avant propos

Nous nous sommes servis, pour cette deuxième partie, des télégrammes échangés entre les membres de la S.T.D. sur place et le président Clément qui coordonnait les efforts à Grenoble. Les télégrammes étaient téléphonés de la Grave après avoir été transportés depuis l'Alpe de Villar d'Arène par des bénévoles : d'où parfois des décalages dans les dates. Nous en transcrirons des extraits en caractères gras tout comme les délibérations officielles.

 

Le 11 juillet 1926, le Conseil Municipal de Villar d' Arène dirigé par son maire Mr Berthet autorise la S.T.D à établir un refuge abri sur les contreforts de Roche Méane moyennant une redevance annuelle de 4 francs'.

Cette délibération est approuvée par le préfet des Hautes Alpes le 22 du même mois et un bail de 18 ans est établi par la commune.

Un an auparavant, le 28 Juillet 1925, le préfet de l'Isère autorisait la même S.T.D. ' à occuper une surface de 100 m2 de terrain dans le parc national' du Pelvoux pour édifier un chalet refuge' etce 'au lieu-dit Vallon de la Pilatte aux environs du sentier allant du Carrelet au col de la Temple'.

Que s'est-il passé? Nous avons répondu à cette question dans la première partie de cet article : l'administration des Eaux et Forêts, trompée par le nom de Pilatte appliqué à deux lieux assez éloignés (le vallon et le glacier) a accordé aux deux sociétés rivales, C.A.F. et S.T.D., le même emplacement. Dans cette situation ubuesque, le triomphe des parisiens honnis mieux placés par rapport aux ministères a été éclatant et la S.T.D., meurtrie, n'a pu que se retirer en bon ordre 'considérant l'intérêt supérieur de l'alpinisme et dans un esprit de conciliation et de déférence pour l'administration des Eaux et Forêts'.

Dés lors s'engage la recherche fébrile d'un nouvel emplacement, dans le parc du Pelvoux si possible. C'est pourquoi on évoque un abri prés du col des Avalanches 'à deux heures de marche' au dessus de l'emplacement perdu. Puis on se retourne vers Casimir Gaspard, maire de St Christophe; on parle du vallon du Soreiller (déja !), du fond de la Lavey et enfin d'un site éventuel prés du glacier de l'Ane pour faciliter l'ascension des Rouies.

Pour Pentecote 1926, Mrs Leyat et Dodero de la S.T.D. explorent à ski les abords du campement Gravelotte, sous Roche Méane, à plus de 3000 mètres d'altitude. C'est sous leur pression que la décision d'implantation du futur refuge en ces lieux est prise.

Sous la direction de Maurice Dodero, tout va aller très vite désormais en profitant d'une belle arrière saison. Des correspondances sont échangées avec l'Armée à Briançon pour le prêt de mulets; des contacts sont pris avec les guides de la Grave et leurs représentants : Paul Jouffrey qui dirigera l'équipe de transport, Jean-Baptiste Savoie, Florentin Pic. Jean Félix Clot s'engage pour 1 000 francs à aménager le sentier de l'Alpe au pied de la moraine pour le rendre accessible aux mulets.

On a prévu trois phases dans le transport des matériaux :
 
- de Grenoble au Pied du Col : transport par camion loué avec chauffeur.

- du Pied du Col à la moraine,-,du glacier de la Plate des Agneaux, approximativement au niveau des actuelles sources de la Romanche : transport à dos de mulet guidés par les militaires sous la direction de Clot.

- de la moraine au campement Gravelotte: à dos d'homme, en comptant deux montées par jour. C'est Paul Jouffrey qui en sera responsable.

Le transport débute le samedi 11 septembre : un camion surchargé quitte Grenoble et les établissements Bouchayer et Viallet à 4 heures du matin avec l'incontournable Dodero à son bord. Il atteint Bourg d'Oisans à 7 heuresl 5 et le Pied du Col à..... 14 heures. Le déchargement de fait rapidement grâce à l'arrivée des militaires convoyant les mulets.

Le lendemain, Dimanche, le transport par mulet commence : le refuge démonté a été réparti en paquets de 25 kgs en moyenne. Chaque mulet porte 1 00 kgs. Quelques difficultés de chargement des pièces longues font demander en urgence des bâts pour affuts de canon.

Pendant ce temps, Dodero redescendu à la Grave, entame les pourparlers avec les guides: ces derniers acceptent de travailler pour 1,50 frs le kilo porté; ils toucheront donc- pour une charge moyenne de 20 kgs, à raison de deux portages par jour, la somme de 60 frs ce q ' correspond exactement à une journée de course pour un porteur de la S.T.D. Il faut noter qu'il a bien été précisé que la nourriture et le coucher était à la charge des guides ! Le tenancier du refuge de l'Alpe, Ranque, s'est engagé à faire des prix intéressants!

Ainsi sont recrutés Retourna, Ferrier, Jouffrey, Pelissier Joseph, Mathonet Léon,Dode Georges et Mathonet Marius. D'autres viendront rejoindre plus tard.

Dodero redescend à Grenoble le lundi 1 3 et revient le mercredi 1 5; tout semble aller pour le mieux. Mais le samedi 18 au soir il envoie un message inquiet au président Clément : rien ne va plus. Au terme de cette première semaine de portage les hommes sont fourbus-, deux guides ont fui, épuisés. Dans la matinée du samedi un mouvement de révolte généralisée s'est dessiné' et c'est seulement grâce à l'attitude de Jouffrey dans une discussion assez vive qui s'était engagée sur les derniers névés qu'ils ont repris le travail et transporté toute la charpente sur l'emplacement en dépensant leur mécontentement dans un dernier effort". Et Dodero d'ajouter :'Le soir, avant de nous séparer, j'ai offert le vin blanc et donné une prime de 20 frs à chaque homme pour qu'ils n'arrivent pas à la Grave en semant la mauvaise parole.'

Le lendemain, Dimanche, pour ne pas rester inactifs, Dodero entraine six militaires et ils montent une charge à 3200 mètres. Ils assemblent certaines pièces et tentent en vain de dresser la ferme centrale. lis devront attendre l'arrivée de Jouffrey et de son équipe.

Hélas ! Dimanche soir, Lundi matin, personne à l'Alpe ! Les militaires 'éreintés' ont droit à un jour de repos et Dodero descend à toute allure à la Grave pour récupérer ses hommes. Quelle n'est pas sa stupéfaction quand il croise" Jouffrey partant à la Meije avec Florentin Pic, son ennemi intime'. Notre grenoblois flaire aussitôt le complot : ' il semble que Florentin ait voulu nous jouer un sale tour à Jouffrey et à nous.' Il semble plus vraissemblable que l'increvable Jouffrey ait sauter sur l'occasion d'une course à la Meije comme guide, course d'un bien meilleur rapport (300frs !) qu'une journée de porteur.

Dodero remonte. amer. avec 4 hommes seulement. Il est rejoint à l'Alpe par Flandrin de la S.T.D.

Le transport reprend donc le mardi matin avec ce faible effectif auquel se joignent les 6 malheureux militaires à bout de souffle. Télégramme du mardi 21 Septembre à 17 heures "La charpente métallique est debout. Sept hommes bivouaqueront ce soir pour finir demain le nivellement et pour terminer de boulonner les petites traverses.n

Le transport à mulet est terminé le mercredi 22 Septembre et l'équipe de Jouffrey, réconstituée et de nouveau sur place, continue le transport à dos d'homme des bois et des toles; les militaires se sont à nouveau joints au portage.

La charpente métallique est debout mais voici qu'apparait un nouveau et très grave problème auquel personne n'avait pensé :'La charpente repose sur une terrasse sensiblement horizontale mais les contrefiches reposent au nord (en amont de la pente) sur des tas de pierres et hélas, au sud ( en aval de la pente) ne peuvent être montées car la quantité de pierres qu'il faudrait amener pour les soutenir est telle qu'il faudrait employer 4 à 5 hommes pendant plusieurs jours'.

Dodero redescend le Samedi et prévoit de remonter avec Mr. Baumier le Mercredi suivant. Flandrin resté sur place envoie ce même samedi dans la soirée le télégramme suivant :L’orage violent dans la nuit de Vendredi à Samedi. Douze civils terminent le transport. Les soldats sont redescendus à l'Alpe pour préparer leur départ de Dimanche. Le temps se gâte et si le transport a pu se terminer de justesse, on doit abandonner sur place la carcasse métallique mai stabilisée, toutes les planches et les tôles. L’hiver est là, à 3000 mètres. Le montage définitif est reporté à l'année prochaine.


Troisième partie

On lit dans la livraison du 27 aôut 1927 du quotidien "Le Petit Dauphinois", sous le titre: "En Oisans.Les fêtes d'inauguration du Refuge Adèle Planchard", ces lignes chargées de sens La charpente métallique fut une première fois édifiée à la fin de l'été 1926 mais elle ne résista pas au rude hiver qui sévit en haute montagne et au printemps dernier; toute l'armature fut retrouvée mais tordue et déplacée d'une dizaine de mètres. Il fallut recommencer. On le fit simplement !'

Qu'on s'imagine le désespoir de Dodero retrouvant au printemps le fruit de ses efforts de l'an passé quasiment réduits à néant. Comme le dit l'article , on recommença.

Tout d'abord démonter et remplacer ce qui a été tordu. D'où de nouveaux transports dans les conditions déja décrites : passons! Mais avant de remonter la charpente restait à régler l'épineux problème évoqué par Dodero de l'égalisation de la pente pour bien enfouir les contrefiches. Pour cela une seule solution : établir une terrasse en déplaçant plusieurs mètres cubes de pierres. C'est, une fois encore, Dodero qui, aidé de quelques porteurs et surtout d'un groupe d'élèves de l'Ecole Vaucanson accompagnés de 3 autres élèves de l'Ecole Nationale Supérieure des Mines de St Etienne, qui s'en charge.

'Pendant une semaine, bivouaquant dans des conditions très pénibles, malgré les brumes, le grésil et le froid, nos vaillants Vaucansonnais, conduits par un de leurs professeurs M. Leleu, ont assemblé les poutrelles, rivé, boulonné, achevé la charpente, posé le plancher, bâti la muraille de pierres qui doit protéger le refuge contre les assauts sournois du vent'.

(Le Petit Dauphinois. 10 aoùt 1927 )

Ceci se passait fin juin. Le 2 août, la relève de ces vaillants est effectuée par M. et Mme Leyat et M.Baumler accompagné d'un de ses tous jeunes ouvriers, Louis Sayetaz. Cet apprenti, qui a aujourd'hui dépassé les 80 printemps, j'ai eu la chance de le rencontrer il y a peu de temps. C'est tout d'abord le dernier survivant de cette épopée et il en a gardé un souvenir très précis. C'est ainsi qu'il m'a narré la rencontre qu'il a faite lors de la construction du refuge.  Un jour deux alpinistes sont venus bivouaquer près des travaux. Le Lendemain il partait et effectuait seul, presque par accident, l'ascension du sommet nord du pic Bourcet. L'année suivante, il disparaissait dans la face nord de la meije. Destin brisé... le CAF décida alors de donner son nom à cette tour qu'il avait vaincue le premier et qui domine majestueusement le col de la casse déserte.

Enfin le 7 août le refuge est terminé. L'inauguration aura lieu les 14 et 1 5 août , une semaine Plus tard. Il y a en vérité peu de choses à en dire car rien dans l'habituelle suite de banquets, de discours, de Promotions de guides et de Porteurs ne permet de rendre entière justice a,, courage de trois hommes qui à eux seuls vinrent à bout de cet oeuvre de titan. Tout au Plus peut-on lire dans un compte rendu de la fête :

"Après la bénédiction du refuge par l'abbé Quérel, M. le Président Clérnent, avec une émotion difficilement surmontée, dit ce que la STD doit à ses bienfaiteurs, à tous ses amis, il dit surtout que la construction du refuge est due à l'effort vraiment héroïque d'une 'trinité" : Baumeler, Leyat, Dodero. On Pousse des hourrahs !"

La cérémonie se terminera sur une note touchante : le Docteur Bourgeois, "appuyé contre la cloison", en larmes, évoquera le souvenir de son amie Adèle Planchard.

"il dit qu'il est d'usage à tout baptême que la marraine fasse un cadeau au nouveau né; mais la marraine du refuge n'est Plus là pour le faire. Pour elle, il le fera et dit-il  pour elle, je dépose une rente annuelle de 500 frs dans le berceau de la cabane". On applaudit discrètement tant l'émotion est grande; bien des yeux sont mouillés.

Voici donc la fin de cette belle aventure. Certes ce n'est Pas un des sommets de l'épopée de Prendre place prés de l'ancêtre au début des années 1 980 : pè LJ l'alpinisme Ou de la conquête de l'Oisanis, mais l'histoire se ré te. n nouveau refuge est venu sa construction a été aussi douloureuse financièrement que l'avait été physiquement et financièrement 50 ans auparavant celle de l'ancien.

Cet hiver, je parle de l'hiver 1993-1994, le nouveau refuge a perdu son toit dans la tourmente et, au printemps, il a fallu que quelques braves, bénévoles comme au bon vieux temps, refassent à 320OMètres les mêmes gestes qu'avait fait Dodero au printemps 1 927 il a fallu recommencer.

Pierre SODEN

 

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