Histoire
de la construction du premier refuge "Adèle Planchard"
1 926-1 927
Première partie
Nous avons voulu conter ici une histoire sans
grand intérêt en vérité : celle de la construction d'un refuge
de haute montagne dans les années 1920.
Et pourtant il nous a paru utile et instructif de
relater, au jour le jour, les efforts d'une poignée de nos
prédécesseurs dont l'obstination, la hargne et le courage eurent
raison des mille et un obstacles qui s'opposaient à leur bonne
volonté, à leur "bénévolat" très exactement.
C'est dans la sécheresse des comptes rendus des
séances du Conseil d'Administration de la S.T.D. de l'époque,
agrémentés de quelques commentaires, que le lecteur pourra
retrouver le détail des luttes quotidiennes contre les sociétés
rivales, la quête acharnée et ô combien actuelle des subventions,
le dévouement inlassable de quelques uns pour le bien du plus grand
nombre : il n'v a rien de nouveau sous le soleil
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Les extraits des séances du Conseil d'Administration
de la S.T.D. seront en caractères gras, les commentaires, en
caractères ordinaires.
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12 Février 1925 : Mme Adèle Planchard, décédée,
laisse à la S.T.D. un leg de 2500 Frs pour travaux en haute
montagne. De chaleureux remerciements sont votés à sa mémoire.
On possède en vérité fort peu de renseignements
sur Mme Planchard : des recherches récentes effectuées par nous en
Belgique ont permis de découvrir sa tombe totalement abandonnée
dans la banlieue de Liège : pas de nom, pas de dates, aucune
inscription, un amas seulement de pierres calcaires de la vallée de
la Meuse en forme de montagne !!!!.... La S.T.D., par
l'intermédiaire d'un ami belge, vient de prolonger de 50 ans la
durée de la concession; aucun membre de la famille ne s'en étant
occupée, notre bienfaitrice risquait la fosse commune.....
Ce qui est certain, c'est que c'était une personne
férocement opposée à toute centralisation; liégeoise donc
opposée à la suprématie de Bruxelles, elle fut attirée par le
côté provincial et antiparisien de la S.T.D. , vertu ou vice bien
dauphinois !!
ler Mai 1925 : Exposition : Mr. Bouchayer donne
au bureau des détails sur l'état d'avancement
des travaux du refuge Planchard.
C'est Grenoble, le temps de la très célèbre
Exposition dite de la Houille Blanche dont la seule relique est la
Tour de.... l'Exposition, toute proche de la nouvelle mairie dans le
parc Paul Mistral. La S.T.D. y exposait, prés de son stand, le
futur refuge Planchard et à quelques mètres, le C.A.F. exposait le
futur premier refuge Temple Ecrins !.... Facheuse coincidence !
Le refuge de la S.T.D. avait été construit par les
soins des établissements Bouchayer et Viallet, bien connus à
Grenoble, sur les plans de l'architecte Serbonnet qui avait déja
conçu les refuges Caron et de la Pilatte.
Les deux refuges présentés par les deux sociétés
alpines à l'Exposition devaient être construits sur le même
emplacement !!! Au dela d'une erreur toponymique invoquée par les
Eaux et Forêts ( Il y aurait eu confusion entre Vallon de la
Pilatte et refuge de le Pilatte), il semble bien que la mauvaise foi
du C.A.F., emmené par le très célèbre Mr. Lory pour la section
de l'Isère, fut totale; mais trop de feu couvait sous la cendre
depuis trop longtemps entre les deux sociétés pour que le premier
prétexte à en découdre ne fut pas le bon.
16 Octobre 1925 : Mr. Chabrand fait l'exposé de la
question du refuge de la Temple et de l'état actuel du conflit avec
le C.A.F. Il est décidé que la S.T.D. maintiendra ses droits, mais
renoncera officieusement à l'emplacement primitivement choisi, sous
réserve d'une large compensation de la part des Eaux et Forêts.
Prudente marche arrière des Dauphinois, reculade qui
n'était pas la première puisque peu de temps auparavant elle avait
du abandonner au C.A.F. un sien projet datant de 1 91 2 : la
construction du refuge de la Pilatte cette fois-ci. Mais un orage se
levait du côté de ce qui leur tenait, alors, le plus à coeur :
leur plus belle réalisation était directement menacée : la
direction des guides et des porteurs du Dauphiné que lorgnait
depuis longtemps l'insatiable C.A.F. Les plaintes se multipliaient,
les guides jouant des dissensions entre les deux sociétés pour
augmenter à loisir les tarifs qui leurs avaient été imposés.
Le Bureau décide de mettre le C.A.F. au courant des
diverses réclamations reçues au sujet du tarif des guides.
C'est le point de départ de la lutte
fratricide qui va opposer les deux sociétés au sujet des guides.
La S.T.D. en sortira vaincue, aprés bien des
péripéties, abandonnée par les siens ! La décentralisation est
encore loin et le jacobinisme centralisateur parisien va
triompher facilement des timidités dauphinoises.
19 Janvier 1926 : Une lettre de Mr. Bourgeois annonce
un nouvel envoi de Frs. 2158,55 , conformément aux dernières
volontés de Mme Adèle Planchard.
Mr. Edouard Bourgeois, professeur de chimie à la
Faculté de Liège, était l'ami de Mme Planchard et son exécuteur
testamentaire. Les liegeois plus pudiquement parlaient de il
cousinage". Grand ami de la S.T.D. des années 20 , il sera,
dix ans plus tard, à l'origine de la construction du deuxième
refuge de la Selle, refuge qui porte son nom : c'est l'actuel refuge
d'hiver. Il décède en 1936 et repose discrètement auprès de son
amie, Mme Planchard.
26 Janvier 1926 : Mr. Clément communique qu'îl a
écrit à Mr. le Conservateur des Eaux et Forêts une réponse
faisant toutes réserves utiles au sujet de l'emplacement du refuge
dans le Parc National. Mr. le Conservateur a laissé espérer qu'une
subvention pourrait être accordée par l'Administration. Le Conseil
notifie l'engagement pris par Mr. Clément au cours de ces divers
pourparlers, que les agents de l'Administration auraient dans le
refuge les mêmes droits que les membres de la S.T.D.
Dans un Premier temps, les Eaux et Forêts ne
voulaient subventionner que les refuges construits dans le Parc
National du Haut Vénéon qui venait d'être créé et dont les
limites étaient bien Plus étroites que celles du Parc
actuel. D'où l'importance de l'emplacement à choisir......
23 Février 1926 : Mr-
le Président donne lecture d'une lettre de MF-. Gaspard.
maire de St Christophe, émettant l'avis que la vallée de la Lavey
pourrait être choisie comme emplacement. Mr. Baumler
procedera au démontage du refuge. (celui de l'Exposition qui
sera remonté ensuite sous Roche Méane)
Aucune suite ne sera donnée à cette proposition: le
C.A.F. occupait déja les lieux!
1 6 Mars 1926 : Après un échange de vue sur
l'emplacement qu'il conviendrait de donner à ce refuge, le Conseil
fixe son choix sur le vallon du Chardon. Une collective à skis dans
ce vallon et vers le sommet des Rouies est décidée pour Pàques.
Curieuse idée d'implanter un refuge si proche de
celui des prairies du Carrelet . Il faut noter que l'ancien refuge
du Carrelet était perché au bord du sentier qui mène au col de la
Temple. Il ne restait que quelques débris de bergerie dans le fond
du vallon lui-méme.
20 Avril 1926 : Mr. Clément, Président, informe le
Conseil qu'une collective a eu lieu pour Pàques (4-5 Avril) en vue
de reconnaître le futur emplacement du refuge Planchard. La
caravane s'est scindée en deux groupes : le premier groupe a fait
l'ascension des Rouies, qui s'est effectuée dans d'excellentes
conditions de temps et de neige. Le deuxième groupe n'est allé
qu'au pied du glacier du Chardon et a recherché l'emplacement
convenable du refuge. Malgré une couche de neige assez abondante et
après des recherches assez laborieuses, une selle rocheuse située
approximativement au pied du rocher de Clochatel pourrait réunir
les conditions; mais une deuxième reconnaissance s'impose et le
Conseil décide qu'en Mai une deuxième excursion sera organisée en
vue de revoir l'emplacement qui n'a pu être examiné assez
minutieusement lors de la visite de Pàques.
Jean-Baptiste et Maximin Rodier accompagneront la
délégation. Le Conseil prend acte de ce que les guides de la
vallée du Vénéon sont disposés à donner à la S.T.D. une
journée de travail à titre de contribution volontaire pour monter
le refuge
Le prix du transport envisagé monterait à 1 franc
le kilo.
La tradition voulait que les guides de la région
interressée par l'implantation d'un nouveau refuge se
transformassent en porteurs rémunérés pour transporter les
matériaux à pied d'oeuvre. Cela n'allait pas sans problèmes en
particulier pendant la saison d'été comme on pourra le voir par la
suite.
4 Mai 1926 : En attendant la 20 reconnaissance au
glacier du Chardon qui doit avoir lieu prochainement le Conseil
reste sur l'expectative. On pourrait envisager d'emplacer le refuge
soit à la Lavey, soit au col de la Casse Déserte où il
desservirait un massif important et privé jusqu'à présent de
refuge.
Première mention de l'emplacement définitif ! Son
nom même rappelle qu'il servit de base à la première de Tour
Carrée de Roche Méane effectuée en juillet 1897 par Eugène
Gravelotte du C.A.F. entouré des trois frères Gaspard, Pierre,
Maximin et Devouassoud.
ler Juin 1926 : Mrs Leyat et Dodero ont fait une
reconnaissance pour Pentecôte à la Grande Ruine. Un emplacement
conviendrait au lieu dit M sous Roche Méane, à 3200 rn d'altitude.
Mrs Clément, Leyat, et Dodero sont chargés de faire auprès de Mr
le conservateur des Eaux et Forêt une demande en vue de conserver
la subvention bien que l’emplacement nouveau ne soit pas dans le
périmètre du Parc National.
Apparition des deux "locomotives" du
projet.Mr Dodero qui paiera de sa personne pour le transport
et le montage du refuge sera un des grands présidents de la S.T.D.
d'après guerre.
Reconnaissance au Chardon : La date du 11 Juillet est
arrêtée en principe pour la reconnaissance projetée. Il est
décidé que le refuge à construire portera le nom de 'Refuge Henri
Ferrand'. Il est donc désormais question de
deux refuges !
Mr. Henri Ferrand grande figure alpine liée au
C.A.F., au C.A.I. et surtout à la S.T.D., polygraphe exceptionnel
et très contesté, plusieurs fois président de cette dernière
Société,, venait en effet de mourir. Un magnifique tableau le
représentant en tenue alpine trône dans la salle des réunions de
notre siège.
15 Juin 1926 : Mr-. le Conservateur des Eaux et
Forêts a été mis au courant du projet de la S.T.D. d'emplacer
un refuge au lieu-dit "Campement Gravelotte' sous Roche
Méane et en dehors du périmètre du Parc National- Cette proposition
sera transmise au Ministère, Mr. le Conservateur ne pouvant prendre
sur lui de conserver la subvention de 20 00OFrs
précédemment votée.
La demande de concession à la commune de Villar
d'Arène sera faite incessament.
L'accord semble s'être fait pour le lieu
d'installation définitif du refuge et ce sans doute sous la
pression du groupe des jeunes de l'époque : Dodero, Leyat etc... Il
ne restait plus qu'à conserver la subvention déja obtenue des Eaux
et Forêts car le refuge se situerait hors des limites du parc de
l'époque : les limites qui bordaient au nord ce que l'on appelait
également alors parc du Pelvoux , passaient par les crêtes
flanquant au nord le bassin de Bonne Pierre et excluaient
curieusement le vallon des Etançons et même la Bérarde pour
remonter, plein est, le long du Vénéon.
6 Juillet 1926 : Mr. le Président donne lecture de
la copie de la lettre du Ministère de l'Agriculture relativement à
l'emplacement du refuge qui est ainsi conçue :
Paris, le 26 Juin 1926 : Le Directeur des Eaux et
Forêts à Mr. le Conservateur des Eaux et Forêts à Grenoble.
Comme suite à votre rapport du 19 Juin relatif à l'objet ci-contre
(utilisation de la subvention N'4934 sur le produit des jeux :
nouvel emplacement pour le refuge de la Société des Touristes du
Dauphiné) et conformément à vos propositions, j'autorise la
modification proposée Par ladite Société Pour l'établissement du
refuge en vue duquel une subvention de 2000OFrs lui a été allouée
sur le Produit des jeux. Ladite Société devra s'engager
préalablement par une délibération de son Comité Directeur, dont
copie sera déposée dans vos archives et dans celles de
l'Administration, à réserver dans le refuge, à titre de Priorité
quatre places destinées aux officiers et préposés des Eaux et
Forêts. Signé........
Le Conseil prend acte de la décision de Mr. le
Directeur Général des Eaux et Forêts et décide à l'unanimité
des voix que seront toujours réservées dans le refuge, à titre de
priorité, quatre places destinées aux officiers et préposés des
Eaux et Forêts.
Le Conseil décide qu'une reconnaissance au futur
emplacement du refuge sera effectuée le 8 Aout prochain.
Reconnaissance au Chardon : La date du 25 Juillet est
arrêtée pour la reconnaissance projetée au glacier du Chardon.
On remarquera que c'est la deuxième fois que
cette reconnaissance est repoussée : il ne sera plus jamais
question du refuge Henri Ferrand. La proximité du refuge du
Carrelet enlevait d'ailleurs toute justification à sa construction.
Les manoeuvres d'approches touchaient à leur fin,
restait maintenant la construction, autre épopée ! Mais ceci est
une autre histoire.
Deuxième partie
Avant propos
Nous nous sommes servis, pour cette deuxième partie,
des télégrammes échangés entre les membres de la S.T.D. sur
place et le président Clément qui coordonnait les efforts à
Grenoble. Les télégrammes étaient téléphonés de la Grave
après avoir été transportés depuis l'Alpe de Villar d'Arène par
des bénévoles : d'où parfois des décalages dans les dates. Nous
en transcrirons des extraits en caractères gras tout comme
les délibérations officielles.
Le 11 juillet 1926, le Conseil Municipal de Villar d'
Arène dirigé par son maire Mr Berthet autorise la S.T.D à établir
un refuge abri sur les contreforts de Roche Méane
moyennant une redevance annuelle de 4 francs'.
Cette délibération est approuvée par le préfet
des Hautes Alpes le 22 du même mois et un bail de 18 ans est
établi par la commune.
Un an auparavant, le 28 Juillet 1925, le préfet de
l'Isère autorisait la même S.T.D. ' à occuper une surface de
100 m2 de terrain dans le parc national' du Pelvoux pour édifier
un chalet refuge' etce 'au lieu-dit
Vallon de la Pilatte aux environs du sentier
allant du Carrelet au col de la Temple'.
Que s'est-il passé? Nous avons répondu à cette
question dans la première partie de cet article : l'administration
des Eaux et Forêts, trompée par le nom de Pilatte appliqué
à deux lieux assez éloignés (le vallon et le glacier) a accordé
aux deux sociétés rivales, C.A.F. et S.T.D., le même emplacement.
Dans cette situation ubuesque, le triomphe des parisiens honnis
mieux placés par rapport aux ministères a été éclatant et la
S.T.D., meurtrie, n'a pu que se retirer en bon ordre 'considérant
l'intérêt supérieur de l'alpinisme et dans un esprit de conciliation
et de déférence pour l'administration
des Eaux et Forêts'.
Dés lors s'engage la recherche fébrile d'un nouvel
emplacement, dans le parc du Pelvoux si possible. C'est
pourquoi on évoque un abri prés du col des Avalanches 'à deux
heures de marche' au dessus de l'emplacement perdu. Puis
on se retourne vers Casimir Gaspard, maire de St Christophe; on
parle du vallon du Soreiller (déja !), du fond de la Lavey et enfin
d'un site éventuel prés du glacier de l'Ane pour faciliter
l'ascension des Rouies.
Pour Pentecote 1926, Mrs Leyat et Dodero de la S.T.D.
explorent à ski les abords du campement Gravelotte, sous Roche
Méane, à plus de 3000 mètres d'altitude. C'est sous leur pression
que la décision d'implantation du futur refuge en ces lieux
est prise.
Sous la direction de Maurice Dodero, tout va aller
très vite désormais en profitant d'une belle arrière saison. Des
correspondances sont échangées avec l'Armée à Briançon pour le
prêt de mulets; des contacts sont pris avec les guides de la Grave
et leurs représentants : Paul Jouffrey qui dirigera l'équipe de
transport, Jean-Baptiste Savoie, Florentin Pic. Jean Félix Clot
s'engage pour 1 000 francs à aménager le sentier de l'Alpe au pied
de la moraine pour le rendre accessible aux mulets.
On a prévu trois phases dans le transport des
matériaux :
- de Grenoble au Pied du Col : transport
par camion loué avec chauffeur.
- du Pied du Col à la moraine,-,du glacier de la
Plate des Agneaux, approximativement au niveau des actuelles sources
de la Romanche : transport à dos de mulet guidés par les
militaires sous la direction de Clot.
- de la moraine au campement Gravelotte: à dos
d'homme, en comptant deux montées par jour. C'est Paul Jouffrey qui
en sera responsable.
Le transport débute le samedi 11 septembre : un
camion surchargé quitte Grenoble et les établissements Bouchayer
et Viallet à 4 heures du matin avec l'incontournable Dodero
à son bord. Il atteint Bourg d'Oisans à 7 heuresl 5 et le Pied
du Col à..... 14 heures. Le déchargement de fait rapidement
grâce à l'arrivée des militaires convoyant les mulets.
Le lendemain, Dimanche, le transport par mulet
commence : le refuge démonté a été réparti en paquets de
25 kgs en moyenne. Chaque mulet porte 1 00 kgs. Quelques
difficultés de chargement des pièces longues font demander en
urgence des bâts pour affuts de canon.
Pendant ce temps, Dodero redescendu à la Grave,
entame les pourparlers avec les guides: ces derniers
acceptent de travailler pour 1,50 frs le kilo porté; ils toucheront
donc- pour une charge moyenne de 20 kgs, à raison de deux portages par
jour, la somme de 60 frs ce q ' correspond exactement à
une journée de course pour un porteur de la S.T.D. Il faut
noter qu'il a bien été précisé que la nourriture et le
coucher était à la charge des guides ! Le tenancier du
refuge de l'Alpe, Ranque, s'est engagé à faire des prix
intéressants!
Ainsi sont recrutés Retourna, Ferrier, Jouffrey,
Pelissier Joseph, Mathonet Léon,Dode Georges et Mathonet Marius.
D'autres viendront rejoindre plus tard.
Dodero redescend à Grenoble le lundi 1 3 et revient
le mercredi 1 5; tout semble aller pour le mieux. Mais le
samedi 18 au soir il envoie un message inquiet au président
Clément : rien ne va plus. Au terme de cette première semaine de
portage les hommes sont fourbus-, deux guides ont fui, épuisés.
Dans la matinée du samedi un mouvement de révolte
généralisée s'est dessiné' et c'est seulement grâce à
l'attitude de Jouffrey dans une discussion assez vive qui
s'était engagée sur les derniers névés qu'ils ont repris le
travail et transporté toute la charpente sur l'emplacement
en dépensant leur mécontentement dans un dernier
effort". Et Dodero d'ajouter :'Le soir, avant de nous
séparer, j'ai offert le vin blanc et donné une prime de 20 frs
à chaque homme pour qu'ils n'arrivent
pas à la Grave en semant la mauvaise parole.'
Le lendemain, Dimanche, pour ne pas rester
inactifs, Dodero entraine six militaires et ils montent une
charge à 3200 mètres. Ils assemblent certaines pièces et
tentent en vain de dresser la ferme centrale. lis
devront attendre l'arrivée de Jouffrey et de son équipe.
Hélas ! Dimanche soir, Lundi matin, personne à l'Alpe
! Les militaires 'éreintés' ont droit à un jour de
repos et Dodero descend à toute allure à la Grave pour récupérer
ses hommes. Quelle n'est pas sa stupéfaction quand il
croise" Jouffrey partant à la Meije avec Florentin
Pic, son ennemi intime'. Notre grenoblois flaire aussitôt le
complot : ' il semble que Florentin ait voulu nous jouer un sale
tour à Jouffrey et à nous.' Il semble plus vraissemblable que
l'increvable Jouffrey ait sauter sur l'occasion d'une course à la
Meije comme guide, course d'un bien meilleur rapport (300frs !)
qu'une journée de porteur.
Dodero remonte. amer. avec 4 hommes seulement. Il est
rejoint à l'Alpe par Flandrin de la S.T.D.
Le transport reprend donc le mardi matin avec ce
faible effectif auquel se joignent les 6 malheureux militaires à
bout de souffle. Télégramme du mardi 21 Septembre à 17 heures
"La charpente métallique est debout. Sept hommes
bivouaqueront ce soir pour finir demain
le nivellement et pour terminer de boulonner les petites traverses.n
Le transport à mulet est terminé le mercredi 22
Septembre et l'équipe de Jouffrey, réconstituée et de
nouveau sur place, continue le transport à dos d'homme des bois et
des toles; les militaires se sont à nouveau joints au portage.
La charpente métallique est debout mais voici qu'apparait
un nouveau et très grave problème auquel personne n'avait
pensé :'La charpente repose sur une terrasse sensiblement
horizontale mais les contrefiches reposent au nord (en amont de
la pente) sur des tas de pierres et hélas, au sud ( en aval
de la pente) ne peuvent être montées car la quantité de
pierres qu'il faudrait amener pour les soutenir est telle
qu'il faudrait employer 4 à 5 hommes pendant plusieurs jours'.
Dodero redescend le Samedi et prévoit de remonter avec
Mr. Baumier le Mercredi suivant. Flandrin resté sur place
envoie ce même samedi dans la soirée le télégramme suivant :L’orage
violent dans la nuit de Vendredi à Samedi. Douze civils
terminent le transport. Les soldats sont redescendus à
l'Alpe pour préparer leur départ de Dimanche. Le temps se gâte
et si le transport a pu se terminer de justesse, on doit
abandonner sur place la carcasse métallique mai stabilisée, toutes
les planches et les tôles. L’hiver est là, à 3000
mètres. Le montage définitif est reporté à l'année prochaine.
Troisième partie
On lit dans la livraison du 27 aôut 1927 du
quotidien "Le Petit Dauphinois", sous le titre: "En
Oisans.Les fêtes d'inauguration du Refuge Adèle Planchard",
ces lignes chargées de sens La charpente métallique fut une
première fois édifiée à la fin de l'été 1926 mais elle
ne résista pas au rude hiver qui sévit en haute montagne et au
printemps dernier; toute l'armature fut retrouvée mais tordue et
déplacée d'une dizaine de mètres. Il
fallut recommencer. On le fit simplement !'
Qu'on s'imagine le désespoir de Dodero retrouvant au
printemps le fruit de ses efforts de l'an passé quasiment réduits
à néant. Comme le dit l'article , on recommença.
Tout d'abord démonter et remplacer ce qui a été
tordu. D'où de nouveaux transports dans les conditions déja
décrites : passons! Mais avant de remonter la charpente restait à
régler l'épineux problème évoqué par Dodero de l'égalisation
de la pente pour bien enfouir les contrefiches. Pour cela une seule
solution : établir une terrasse en déplaçant plusieurs mètres
cubes de pierres. C'est, une fois encore, Dodero qui, aidé de
quelques porteurs et surtout d'un groupe d'élèves de l'Ecole
Vaucanson accompagnés de 3 autres élèves de l'Ecole Nationale
Supérieure des Mines de St Etienne, qui s'en charge.
'Pendant une semaine, bivouaquant dans des conditions
très pénibles, malgré les brumes, le
grésil et le froid, nos vaillants Vaucansonnais, conduits par
un de leurs professeurs M. Leleu, ont assemblé les poutrelles,
rivé, boulonné, achevé la charpente, posé le plancher, bâti
la muraille de pierres qui doit
protéger le refuge contre les assauts sournois du vent'.
(Le Petit Dauphinois. 10 aoùt 1927 )
Ceci se passait fin juin. Le 2 août, la relève de
ces vaillants est effectuée par M. et Mme Leyat et M.Baumler
accompagné d'un de ses tous jeunes ouvriers, Louis Sayetaz. Cet
apprenti, qui a aujourd'hui dépassé les 80 printemps, j'ai eu la
chance de le rencontrer il y a peu de temps. C'est tout
d'abord le dernier survivant de cette épopée et il en a gardé un
souvenir très précis. C'est ainsi qu'il m'a narré la rencontre
qu'il a faite lors de la construction du refuge. Un jour deux
alpinistes sont venus bivouaquer près des travaux. Le Lendemain il
partait et effectuait seul, presque par accident, l'ascension du
sommet nord du pic Bourcet. L'année suivante, il disparaissait dans
la face nord de la meije. Destin brisé... le CAF décida alors de
donner son nom à cette tour qu'il avait vaincue le premier et qui
domine majestueusement le col de la casse déserte.
Enfin le 7 août le refuge est terminé.
L'inauguration aura lieu les 14 et 1 5 août , une semaine Plus
tard. Il y a en vérité peu de choses à en dire car rien
dans l'habituelle suite de banquets, de discours, de Promotions de
guides et de Porteurs ne permet de rendre entière justice a,,
courage de trois hommes qui à eux seuls vinrent à bout de cet
oeuvre de titan. Tout au Plus peut-on lire dans un compte rendu de
la fête :
"Après la bénédiction du refuge par l'abbé
Quérel, M. le Président Clérnent, avec
une émotion difficilement surmontée, dit ce que la STD doit à ses
bienfaiteurs, à tous ses amis, il dit surtout que
la construction du refuge est due à
l'effort vraiment héroïque d'une 'trinité" : Baumeler, Leyat,
Dodero. On Pousse des hourrahs !"
La cérémonie se terminera sur une note touchante :
le Docteur Bourgeois, "appuyé contre la cloison", en
larmes, évoquera le souvenir de son amie Adèle Planchard.
"il dit qu'il est
d'usage à tout baptême que la marraine fasse un cadeau au
nouveau né; mais la marraine du refuge n'est Plus
là pour le faire. Pour elle, il le
fera et dit-il pour elle, je dépose une rente annuelle de 500
frs dans le berceau de la cabane".
On applaudit discrètement tant l'émotion est grande; bien
des yeux sont mouillés.
Voici donc la fin de cette belle aventure. Certes ce
n'est Pas un des sommets de l'épopée de Prendre place prés de
l'ancêtre au début des années 1 980 : pè LJ l'alpinisme Ou de la
conquête de l'Oisanis, mais l'histoire se ré te. n nouveau refuge
est venu sa construction a été aussi douloureuse financièrement
que l'avait été physiquement et financièrement 50 ans auparavant
celle de l'ancien.
Cet hiver, je parle de l'hiver 1993-1994, le nouveau
refuge a perdu son toit dans la tourmente et, au printemps, il a
fallu que quelques braves, bénévoles comme au bon vieux temps,
refassent à 320OMètres les mêmes gestes qu'avait fait Dodero au
printemps 1 927 il a fallu recommencer.
Pierre SODEN |